Vous êtes salarié et avez été sanctionné dans le cadre de l’exercice de votre liberté d’expression ? Il convient de préciser les contours de la liberté d’expression des salariés. La liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Article 11 de la DDHC de 1789
Le salarié jouit de sa liberté d’expression dans l’entreprise et hors de celle-ci. Cette liberté n’est toutefois pas sans limite dans la mesure où elle peut comprendre des dommages en terme réputationnelle pour l’entreprise. Dès lors, un nécessaire équilibre entre l’exercice de la liberté d’expression des salariés et la préservation des intérêts de l’employeur a progressivement été mis en place. L’exercice de la liberté d’expression des salariés (I) ne s’exercent que dans certaines limites déterminées par la loi (II).
Tout salarié peut librement exprimer ses opinions personnelles sur le fonctionnement et l’organisation de l’entreprise mais aussi sur ces conditions de travail. Sa liberté d’expression s’étend également à l’ensemble des activités de l’entreprise, ainsi qu’aux domaines politique, religieux, philosophique ou moral. Elle s’exerce tant sur son lieu de travail qu’en dehors, dans son cercle privée (famille, amis, etc.). Dès lors, aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée à l’encontre d’un salarié faisant usage de cette liberté.
A ce titre la chambre sociale de la Cour de cassation énonce dans un arrêt du 14 décembre 1999 que :
« […] le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression […]; l'intéressé, chargé d'une mission administrative, comptable et financière de très haut niveau dans des circonstances difficiles pouvait être amené à formuler, dans le cadre de ses fonctions et du cercle restreint du comité directeur dont il était membre, des critiques, mêmes vives, concernant la nouvelle organisation proposée par la direction ». (Cour de Cassation, Chambre sociale, du 14 décembre 1999, 97-41.995)
Dans le cadre de sa liberté d’expression, tout salarié peut divulguer des informations portant sur un risque grave que l'entreprise fait courir à la santé des travailleurs.
La Cour de cassation précise que :
« Il résulte de l'article L.1132-3-3 du code du travail, créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, que le salarié qui a relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ». (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2020, 18-13.593)
Mais la liberté d’expression du salarié ne s’arrête pas là. Elle est multiforme et comprend une faculté pour un salarié de garder le silence. A ce titre, la Cour de cassation a pu juger que le fait pour l'employeur d'obliger un salarié à émettre une opinion ou à prendre une position publique porte atteinte à la liberté d'expression du salarié (Cour de Cassation, Chambre sociale, du 26 octobre 2005, 03-41.796).
La liberté d'expression englobe également la liberté artistique. La Cour de cassation estime que, la diffusion d'une photographie représentant le salarié nu, étant dépourvue de caractère injurieux, diffamatoire ou excessif, ne caractérise pas un abus dans la liberté d'expression du salarié (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 juin 2021, 19-21.651).
Avec l’avènement des réseaux sociaux, désormais incontournable à la vie quotidienne, il a très vite fallu définir les contours de la liberté d’expression des salariés. Compte tenu de l’immunité dont disposent les communications privées au titre du secret de la vie privée, on pourrait à première vue penser que s’exerçant en dehors de l’entreprise, les réseaux sociaux aurait élargi l’espace de la liberté d’expression des salariés. En réalité, ce n’est pas si simple puisque comme évoqué précédemment, la liberté d'expression des salariés peut conduire à des dommages pour l'entreprise en termes de réputation et d'image, de sorte qu’un arbitrage est plus que jamais nécessaire.
La jurisprudence a retenu le critère de la publicité pour délimiter la frontière privée et professionnelle, liée à l’exercice de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. L’audience est donc un élément central de détermination du critère privée ou public d’un message. Dès lors que le contenu est accessible à un large panel, il relève du caractère public et n’est plus considéré comme confidentiel et ce, peu importe les paramètres de confidentialité du compte.
Les Tribunaux ont pu juger que le contenu n’est plus considéré comme confidentiel, et peut justifier un licenciement s’il y a abus lorsque les échanges sont réalisés sur un groupe destiné à dénigrer un supérieur, dont l’audience est défini pour les « amis et leurs amis » (CPH Boulogne Billancourt 19 novembre 2010 n°09/00313 et 09/00343). De même, en termes d’audience, les propos diffusés sur un compte comprenant plus de 179 « amis » ne sont plus considérés comme la sphère privée (CA Aix-en-Provence, 5 févr. 2016, no 14/13717).
Il en est de même d'une page Facebook accessible à 52 amis, mais également aux amis des quatre personnes au moins qui ont indiqué aimer ou mis un commentaire (CA Bordeaux, 4 avril 2018, n°16/01878). La protection des correspondances privées s’applique donc uniquement aux propos diffusés, sur un réseau social dont l'accès est réservé à un nombre limité de personnes et agréées par l'utilisateur du compte.
A ce titre, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que :
« Ne sont pas constitutifs d'une faute grave les propos injurieux diffusés par un salarié sur un compte de réseau social "facebook" accessibles aux seules personnes agréées par lui et composant un groupe fermé de quatorze personnes, de tels propos relevant d'une conversation de nature privée ». (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 septembre 2018, 16-11.690)
En outre, il résulte d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme que l'emploi des mentions « J'aime » sur les réseaux sociaux, qui pourrait être considéré comme un moyen d'afficher un intérêt ou une approbation pour un contenu, constitue bien, en tant que tel, une forme courante et populaire d'exercice de la liberté d'expression en ligne, qui ne peut être sanctionner par l’employeur (CEDH, 15 juin 2021, n°35786/19). En conclusion, les salariés jouissent de leur liberté d’expression la plus totale sur les réseaux sociaux, qu'à la double condition que l'accès n'en soit possible qu'aux personnes agréées, par le titulaire du compte et que les intéressées soient très peu nombreuses.
Il découle de l’article L1222-1 du Code du travail une exigence de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail. Dès lors, tout salarié dispose d’une obligation de loyauté envers son employeur et doit ainsi s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entreprise et, en particulier, de tout acte de concurrence. A cette obligation de loyauté, s’accompagne une obligation de discrétion et de confidentialité nécessaire à la préservation des intérêts de l’entreprise. Compte tenu de son pouvoir réglementaire, l’employeur est en mesure de restreindre la liberté d’expression d’un salarié en considération du poste, que celui-ci occupe par le biais de clauses contractuelles insérées au contrat de travail comme une clause de confidentialité ou par l’édiction de règles au sein de l'entreprise, à travers le règlement intérieur.
Ce pouvoir patronal n’est toutefois pas sans limite puisque conformément l’article L.1121-1 du Code du travail les restrictions ne sont admises qu’à la condition d’être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnées au but recherché ».
A ce titre, la Cour de cassation a pu juger que :
« Doit être approuvé l'arrêt qui, ayant fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, en a déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié ». (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 avril 2022, 20-10.852)
Trois critères sont retenus par les Tribunaux pour caractériser l’abus dans la liberté d’expression : la teneur des propos du salarié, le contexte dans lequel ils ont été tenus et la publicité qu'en a fait le salarié. Dans une démarche de conseil et de contentieux, le Cabinet Zenou expert en droit social à Paris 20ème vous oriente vers la meilleure approche et vous soutient tout au long de la procédure de licenciement afin de faire reconnaître sa nullité si nécessaire. Si vous décidez de ne pas réintégrer l'entreprise, il pourra demander la réparation de votre préjudice.
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