Les dessous du licenciement abusif : recours et indemnités

Les dessous du licenciement abusif : recours et indemnités
Au 4ème trimestre 2022, 251 700 licenciements ont eu lieu en France métropolitaine sur le champ privé (hors agriculture, intérim et particuliers employeurs) dont 19 700 licenciements pour motif économique et 232 000 pour un autre motif (https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-licenciements). Le licenciement est une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Ce dernier peut décider de licencier un salarié en raison de difficultés économiques de l’entreprise (motif économique) ou pour d’autres raisons (motif personnel) notamment lorsqu’il estime que le salarié a commis une faute dans le cadre de son emploi. Le licenciement emporte donc de lourdes conséquences pour le travailleur. Ainsi, cette mesure est encadrée par la loi et l’employeur ne peut licencier un salarié que pour un motif valable. Si tel n’est pas le cas le licenciement peut être qualifié d’abusif, ce qui ouvrira des droits pour le salarié.

 
Comment se définit un licenciement abusif ?
 
L’article L1232-1 du Code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel « est justifié par une cause réelle et sérieuse ». En effet ce type de rupture, pour une cause inhérente à la personne du salarié, doit être fondé sur des éléments objectifs et imputables au salarié, soc 20 octobre 2015 n°14-17.624. Pour licencier un salarié, il est indispensable qu’une cause réelle et sérieuse existe. Cette dernière peut notamment être caractérisée en l’absence de faute commise par le salarié. La cause peut être réelle et sérieuse même en l’absence de faute grave, d’élément intentionnel et ce malgré le caractère isolé des faits, soc 25 avril 1985 n°83-40.766.
 
  1. Une cause réelle
 
Le législateur n’a posé aucune définition de la cause réelle et sérieuse. Cette dernière a donc été définie par la jurisprudence qui a posé différents critères :

 
  • Un motif exact : il doit constituer la véritable raison de la rupture. Les juges du fond doivent alors rechercher la vraie cause du licenciement et ce quels que soient les motifs allégués dans la lettre de licenciement, soc 26 mai 1998 n°96-41.062. Par exemple ils peuvent retenir que le véritable motif d’un licenciement était la décision de l’employeur de supprimer le poste d’un salarié et non la faute grave allégué par celui-ci, soc 13 février 2008 n°06-43.849.
  • Un motif objectif et matériellement vérifiable : le motif doit être objectif et pouvoir se contrôler par des éléments concrets. C’est ainsi qu’il a été jugé que la perte de confiance ne constitue pas un motif de licenciement, soc 29 mai 2001 n°98-46.341. En effet les raisons de la rupture du contrat de travail, figurant dans la lettre de licenciement, doivent être matériellement vérifiables et ne doivent pas résulter d’un sentiment éprouvé par l’employeur. Par exemple, un licenciement fondé sur un « manque de motivation » ne repose pas sur un élément matériel et constitue donc un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soc 23 mai 2000 n°98-40.365. Toutefois les conséquences d’un manque de motivation (retards, absence, résultats médiocres…) peuvent constituer des éléments pouvant fonder cette mesure. Ce sont alors ces motifs qui doivent figurer dans la lettre de licenciement.
  • Un motif précis : l’employeur doit étayer de manière claire la nature et la date des faits fondant le licenciement au sein de la lettre de rupture. Ainsi il a été jugé que ne constitue pas un motif précis la simple mention « erreurs et négligences » dans la lettre de licenciement, soc 7 décembre 1999 n°98-41.522. En revanche est suffisamment précis le motif de participation à un mouvement de cessation collectif de travail illicite, soc 15 octobre 2013 n°11-18.977
  • Un motif avéré : le motif du licenciement doit être connu, vrai et vérifié. Il ne peut s’agir de simples craintes ou supputations, soc 21 septembre 2006 n°05-41.155.
  • Un motif personnellement imputable au salarié : un salarié ne peut être licencié pour des faits commis par ses proches, y compris s’ils se sont produits sur le lieu de travail, soc 21 mars 2000 n°98-40.130.
 
  1. Une cause sérieuse
 
La cause fondant le licenciement doit être réelle et sérieuse. En effet elle doit présenter un certain degré de gravité rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Le recours au licenciement doit être proportionné aux faits reprochés (soc 25 octobre 2017 n°16-11.173). Par conséquent, des faits anodins ne peuvent justifier un licenciement puisque pour que celui-ci repose sur une cause réelle et sérieuse, le fonctionnement de l’entreprise doit être affecté. Un licenciement abusif est celui qui serait dépourvu de cause réelle et sérieuse. Tel sera le cas lorsque le motif à l’origine du licenciement n’est pas reconnu valable par le juge.
 
 
I. Le salarié peut-il contester un licenciement qu’il estime abusif ?
 
Lorsqu’un salarié licencié estime que son licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse il dispose, conformément à l’article L1471-1 du Code du travail, d’un délai de douze mois à compter de la notification de la rupture pour saisir le Conseil de prud’hommes. Selon la jurisprudence, la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre partie, soc 11 décembre 1997 n°96-42.405. La preuve d’une cause réelle et sérieuse, ou de son absence, peut être apporté par tous moyens afin de permettre au juge d’apprécier l’existence ou non de celle-ci, soc 25 mai 1976 n°75-40.337. Ainsi il a été jugé que :
 
  • Le système de vidéosurveillance installé par l’employeur dans un entrepôt de marchandises qui n’enregistre pas l’activité de salariés affectés à un poste de travail déterminé, peut être retenu comme moyen de preuve de la participation personnelle d’un salarié à des détournements de marchandise, soc 31 janvier 2001 n°98-44.290.
  • De même, les documents de l’entreprise dont le salarié a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et appréhendés, sans l’autorisation de son employeur peuvent être produits en justice s’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits dans sa défense dans le litige l’opposant à son employeur, crim 11 mai 2004 n°03-85.521.

En revanche, la filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié, constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur, soc 26 novembre 2002 n°00-42.401. L’article L1235-1 du Code du travail ainsi que la jurisprudence (soc 16 juin 1993 n°91-45.462) affirment que lorsqu’un doute subsiste, il profite au salarié.

 
II. Quelles sont les conséquences d’un licenciement abusif ?
 
Lorsqu’un salarié est licencié et que, suite à sa saisie du Conseil de prud’hommes, le licenciement est qualifié comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, deux possibilités s’offrent à lui.
 
  1. Une possibilité de réintégration
 
L’article L1235-3 du Code du travail dispose que « Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur ».
 
Lorsqu’un licenciement est qualifié comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié a la possibilité de réintégré l’entreprise. Toutefois la réintégration ne peut être que proposée et non imposée, soc 29 janvier 1981 n°79-41.038. Il est alors possible qu’une partie, employeur ou salarié, s’oppose à la réintégration du travailleur au sein de l’entreprise. Cette opposition est compréhensible aux vues du contexte conflictuelle dans lequel les deux parties se trouvent. De plus il est possible que la réintégration soit manifestement impossible, notamment lorsqu’une société a cessé définitivement son activité et que ses actifs ont été vendus, soc 15 juin 2005 n°03-48.153. Si tel est le cas, l’employeur sera condamné au versement d’une indemnité dont le montant est encadré par les barèmes Macron.

 
  1. Le versement d’indemnités
 
Dans le cas où un licenciement est qualifié par le juge comme étant sans cause réelle et sérieuse et qu’une des parties, employeur ou salarié, s’est opposé à la réintégration de ce dernier dans l’entreprise, l’employeur devra verser une indemnité au travailleur licencié. Le montant de cette indemnité est encadré par les barèmes Macron, conformément à l’article L1235-3 du Code du travail, qui fixent un plancher et un plafond. Ce montant varie en fonction de deux paramètres :
 
  • L’ancienneté du salarié dans l’entreprise : ce paramètre s’apprécie depuis la date d’embauche de l’entreprise jusqu’à la date d’envoi de la lettre recommandé notifiant le licenciement, soc 26 septembre 2006 n°05-43.841.

S’il y a eu des contrats de travail successifs avec le même employeur, ou des sociétés d’un même groupe, ils ne peuvent être pris en compte dans l’ancienneté que s’ils se sont succédés sans discontinuité ou si une clause de reprise d’ancienneté figure dans le dernier contrat de travail, soc 6 février 2008 n°06-45.518. De plus, les périodes de suspension du contrat de travail (maladie, congés sans solde…) n’ont pas à être déduites, soc 7 décembre 2011 n°10-14.156.

 
  • Le nombre de salariés dans l’entreprise (plus ou moins de onze salariés) : le calcul de l’effectif s’effectue en application des règles générales fixées par le Code du travail (article L1111-2) et par le Code de la sécurité sociale (article L130-1). Aucune disposition légale, n’indique à quel moment il convient de se placer pour apprécier l’effectif habituel de l’entreprise. De ce fait il s’agit, en toute logique, de la même date que celle retenue pour apprécier l’ancienneté du salarié, c’est-à-dire la date d’envoi de la lettre recommandé notifiant le licenciement.

De plus, sous réserve de respecter les plafonds et les planchers fixés par les barèmes Macron, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour fixer le montant de cette indemnité en fonction du préjudice subi par le salarié. Ils peuvent notamment prendre en compte ses difficultés pour retrouver un emploi (soc 27 février 1980 n°78-40.371), les avantages qu’il a perdus tels que la baisse de salaire subie entre le moment où il a été licencié et celui où il a retrouvé un emploi (soc 9 juin 1982 n°80-40.824) ou encore la perte d’avantage accessoire au contrat de travail tel un prêt avantageux consenti par l’employeur en raison de sa qualité de salarié de l’entreprise. (soc 19 avril 1989 n°87-42.137).

 
  1. Le remboursement des allocations chômage
 
Lorsqu’un licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, l’employeur est tenu de rembourser à Pôle emploi tout ou partie des allocations chômage versées depuis le jour du licenciement jusqu’à la date du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié concerné, article L1235-4 du Code du travail. Ce remboursement est ordonné d’office par le juge lorsque Pôle emploi n’est pas intervenu à l’instance ou n’a pas fait connaitre le montant des indemnités versées. Toutefois cette sanction ne concerne que les entreprises d’au moins onze salariés et celles qui licencient un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté, article L1235-5 du Code du travail.
 
 
III. Quel est le régime social et fiscal de ces indemnités ?
 
 
Les indemnités perçues par le salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont soumises à un régime social et fiscal de faveur. En ce qui concerne :

 
  • L’impôt sur le revenu : ces indemnités sont exonérées, dans leur totalité, d’impôt sur le revenu, article 80 du Code général des impôts duodecies.
  • Cotisations de sécurité sociale : ces indemnités sont exonérées de cotisations sociales dans la limite de deux fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, article L242-1 du Code de la sécurité sociale.
  • CSG et CRDS : ces indemnités sont exonérées de CSG et de CRDS dans la limite de deux fois le plafond annuel de Sécurité sociale, cass 19 avril 2005 n°03-30.759.

Il existe également une spécificité lorsque le montant des indemnités est supérieur à dix fois le plafond annuel de Sécurité sociale ; dans ce cas la somme est intégralement soumise aux cotisations de sécurité sociale et à la CSG et CRDS dès le premier euro.

 
Les indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont-elles cumulables avec d’autres indemnités ?
 
L’article L1235-3 du Code du travail précise que les indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont cumulables, dans la limite des montants maximaux fixées par les barèmes Macron, avec :

 
  • L’indemnité pour non-respect de la procédure de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative.
  • L’indemnité pour non-respect de la priorité de réembauche
  • L’indemnité allouée lorsqu’une procédure de licenciement pour motif économique est engagée dans une entreprise où le comité social et économique n’a pas été mis en place, alors que l’entreprise est assujettie à cette obligation et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi.
 
De plus, ces indemnités sont cumulables avec les indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, soc 28 février 2006 n°04-48.280, ainsi qu’avec les mesures prévues par un plan de sauvegarde de l’emploi visant à faciliter le reclassement des salariés licenciés, soc 9 juillet 2015 n°14-14.564. En revanche, il est impossible de cumuler l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec l’indemnité prévue suite à l’annulation d’une décision d’homologation d’un PSE, soc 16 février 2022 n°20-14.969.
 
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