Certains avocats et juges ont écarté la barémisation des indemnités prévues à l’article L.1235-3 du Code du travail, pour réparer de manière plus adéquate les préjudices subis par les salariés licenciés abusivement. Au lieu d’attribuer une indemnisation en application ce barème rigide, ils ont évalué le montant de l’indemnisation in concreto, c’est-à-dire en prenant en considération tous les éléments pouvant porter préjudice au salarié (moral, professionnel, financier). Le Conseil de prud’hommes de Troyes le 13 décembre 2018 a été la première juridiction à le faire. Les juges ont estimé que « l’article L.1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.
De plus ces barèmes, ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ». Cette première décision a donné la voie à de nombreuses autres décisions similaires. Cependant, elles n’ont pas toutes opté pour la même argumentation, certaines invoquant l’inconventionnalité de l’article (c’est-à-dire qu’il soit contraire à une convention internationale) (A) et d’autres la contournant tout simplement (B).
L’invocation de l’inconventionnalité du barème Macron
Ainsi, certains Conseil de prud’hommes ont écarté le barème en donnant raison à l’argumentation des avocats travaillistes qui soulevaient l’inconventionnalité de cet au l’article 24 de la Charte sociale européenne et à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui ordonnent « le versement d’une indemnisation adéquate » du licenciement injustifié. Ce fut le cas dans le jugement du Conseil de prud’hommes d’Angoulême en date du 9 juillet 2020.
La nécessité d’une réparation adéquate voire intégrale du préjudice subi
D’autres juridictions n’ont pas souhaité trancher sur la question de l’inconventionnalité et ont contourné le barème des indemnités en invoquant la nécessité d’une réparation adéquate. De cette manière, le Conseil de prud’hommes de Grenoble a estimé dans son jugement en date du 25 mars 2021 qu’en l’espèce, au regard de l’âge du salarié et de la difficulté qui en résulte de retrouver un emploi dans un marché de niche et du caractère abusif du licenciement, l’application du barème porterait une atteinte disproportionnée aux droits de Monsieur, et a décidé d’y déroger, « pour réparer de manière juste et adéquate le préjudice subi tant d’un point de vue financier et moral ». Les juges prud’homaux ont alors fait droit à la demande du justiciable percevoir des dommages-intérêts de 115 000€ nets ce qui correspond à 28 mois de salaire, contre les 19 849,38€ à 72 781, 06€ bruts si le barème en vigueur avait été appliqué. La Cour d’appel de Bourges est allée encore plus loin en demandant la réparation intégrale du préjudice d’un salarié de 59 ans ayant 5 ans d’ancienneté et dont la recherche d’emploi en raison de la tension sur le marché du travail était particulièrement difficile. La Cour a estimé dans cette affaire que l’application en l’article L.1235-3 du Code du travail portait « une atteinte disproportionnée aux droits du salarié ». Les juges lui ont accordé 7 mois de salaires. C’est bien de réparer intégralement le préjudice subi par le salarié dont il s’agit et non pas seulement de prendre uniquement en compte un seul paramètre pour estimer le préjudice subi par les salariés.
La France n’est pas le seul pays à avoir instauré des barèmes pour les indemnités en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement injustifié puisque des barèmes similaires ont été censurés en Europe (A), tandis que le débat national subsiste (B).
Un barème similaire censuré en Europe
L’Italie a pris une mesure similaire instaurant un barème similaire au barème français et a été censuré par la Cour constitutionnelle italienne en vertu de l’article 24 de la Charte sociale européenne. De même, une même loi finlandaise a été déclarée contraire à la Charte en estimant que « l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis ». Une décision similaire est attendue par le même Comité Européen des droits sociaux, organe en charge de l’interprétation de la Charte sociale européenne, pour la France à l’issue de la réclamation de la CGT-FO du 22 mars 2018 n° 160-2018, qui a été déclarée recevable.
La continuité du débat juridique français
Le débat juridique concernant l’inconventionnalité de l’article L.1235-3 du Code du travail subsiste. En effet, malgré les décisions de plusieurs Conseils de prud’hommes d’écarter cet article en raison de son inconventionnalité, tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation. La Haute juridiction réunie en assemblée plénière a confirmé dans ses avis rendus le 17 juillet 2019 (n° 15 012 et n° 15 013) que l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT était bien directement invocable dans les litiges entre particuliers devant les juridictions françaises, mais que tel n’était pas le cas pour l’article 24 de la Charte sociale européenne. Ce dernier avis a eu bien de quoi surprendre les avocats travaillistes et les juges prud’homaux puisque le Conseil d’Etat avait formellement estimé que les actes n’ayant pas pour objet de régir exclusivement lest relations entre Etats pouvaient bien directement être invoqués devant le Conseil de prud’hommes.
Heureusement, les avis de la Cour de cassation ne lient aucune juridiction, et les juges prud’homaux peuvent continuer à écarter le barème des indemnités. Désormais, il faut attendre que la Cour de cassation se prononce sur la conventionnalité des indemnités prud’hommales et le cas échéant, celui de la Cour européenne des droits de l’Homme. Si la France est condamnée pour non-respect des conventions internationales, encore faut-il que la France applique effectivement la décision de la Cour européenne. Autrement, les juridictions de premières et secondes instances pourront continuer à lutter contre le barème en appliquant une indemnité juste et adéquate.
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