Quel avenir pour le barème Macron ?

Quel avenir pour le barème Macron ?
Depuis son entrée en vigueur en 2018, le barème Macron n’a cessé de susciter de vives contestations. Inscrit à l’article L.1235-3 du Code du travail, ce barème vient limiter les indemnités accordées aux salariés victimes d’un licenciement sans cause et sérieuse et qui ne réintègrent pas l’entreprise. Le montant des indemnités comporte un plancher et un plafond, et est accordé en fonction de l’ancienneté des salariés et de la taille de l’entreprise. Il est fixé par le Conseil de prud’hommes. A titre d’exemple, pour 3 ans d’ancienneté dans une entreprise, un salarié licencié abusivement perçoit à minima une indemnité correspondant à 3 mois de salaire brut et au maximum, une indemnité de 4 mois de salaire brut.

Avant la réforme du Code du travail en 2018, aucune limitation n’était portée aux indemnités de licenciement abusif. Les juges prud’homaux pouvaient déterminer leur montant sans restriction de plafond et en considération de la situation individuelle des travailleurs, et non pas uniquement selon leur ancienneté, comme c’est le cas aujourd’hui. De plus, l’appréciation au cas par cas par les juges permettait d’allouer des indemnités parfois très élevés aux salariés licenciés abusivement. L’intérêt était ainsi de dissuader les employeurs de licencier sans avoir strictement respecté le Code du travail.

Ainsi, il est aisé de comprendre pourquoi ce barème fait débat non seulement dans la sphère juridique mais également dans la société toute entière, à travers les nombreuses mobilisations contre la « loi Travail » en 2017 notamment, à l’origine de ce recul des droits sociaux (I). Dès lors, des avocats et des juridictions ont résisté et ont écarté ce barème en avançant des arguments parfois différents (II). Mais malgré ces résistances, le débat juridique subsiste et après plusieurs rebondissements, il n’est pas prêt à s’achever de sitôt (III).
 

I – En quoi le barème fait-il débat ?


Le barème Macron est au cœur des contestations car les indemnités ne suffisent plus à réparer le préjudice subi par les salariés (A), et s’apparentent davantage à un permis de licencier pour les employeurs (B).
 
  1. Une réparation insuffisante du préjudice
Le montant des indemnités n’évoluant plus qu’en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, il ne prend plus en compte la situation individuelle et particulière de chaque salarié.
Le préjudice causé par un licenciement abusif s’étend, en effet, bien au-delà du temps passé dans l’entreprise puisqu’il réside également dans une situation personnelle rendue plus compliquée, dans des recherches d’emploi rendue plus difficile en raison de l’âge ou d’une situation d’handicap ou bien d’autres raisons, qui nécessitent une réparation à juste titre. En ne considérant plus que le critère de l’ancienneté, ces indemnités plafonnées ne permettent plus de replacer « [le salarié] dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit », comme l’exige continuellement la Cour de cassation (Cass. Soc., 14 septembre 2017, n° 16-115.63).
 
  1. Un permis de licencier pour les employeurs
Cette barémisation des indemnités prud’homales permet aux employeurs de planifier leur licenciement. La réforme avait en effet pour objectif de « renforcer la prévisibilité et ainsi sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture », c’est pourquoi cette barémisation permet aux employeurs de connaître, en amont le risque financier encouru en cas de licenciement prononcé illicitement. Le Professeur Pascal LOKIEC affirme même que les employeurs peuvent « budgéter » le coût de leur faute, et notamment celui des salariés avec peu d’ancienneté puisque leurs indemnités sont parmi les plus basses.

L’argumentaire du Syndicat des Avocats de France (SAF) souligne ainsi très justement que cette absence d’effet dissuasif des indemnités censé punir les employeurs fragilise les salariés dans leur relation de travail, « les employeurs n’étant aucunement dissuadés de licencier sans motif valable ». D’ailleurs, le Conseil constitutionnel ajoute que le paiement de dommage-intérêts (d’indemnités) doit produire un effet dissuasif, pour les employeurs afin de permettre l’effectivité de la règle de droit (CC, Décision n° 2016-582, QPC, 13 novembre 2016). C’est tout le contraire ici puisque la barémisation des indemnités permet justement aux employeurs de licencier plus aisément les salariés. En parallèle, le nombre de recours devant le Conseil de prud’hommes a diminué de moitié en 10 ans et cette chute n’a fait qu’augmenter depuis les réformes du Code du travail entre 2016 et 2018.

Ainsi, au lieu de dissuader les employeurs de licencier illicitement, le barème Macron dissuade les salariés de faire valoir leurs droits. En creusant les inégalités sociales, cette barémisation s’inscrit assurément en faveur des employeurs. Fort heureusement, dès l’entrée en vigueur des ordonnances Macron le 29 mars 2018, des avocats travaillistes (en faveur des salariés) et des juridictions Conseils de prud’hommes et Cours d’appel ont fait résistance.
 

II – Quels arguments sont avancés par les avocats et les juridictions pour écarter le barème Macron ?


Certains avocats et juges ont écarté la barémisation des indemnités prévues à l’article L.1235-3 du Code du travail, pour réparer de manière plus adéquate les préjudices subis par les salariés licenciés abusivement. Au lieu d’attribuer une indemnisation en application ce barème rigide, ils ont évalué le montant de l’indemnisation in concreto, c’est-à-dire en prenant en considération tous les éléments pouvant porter préjudice au salarié (moral, professionnel, financier). Le Conseil de prud’hommes de Troyes le 13 décembre 2018 a été la première juridiction à le faire. Les juges ont estimé que « l’article L.1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

De plus ces barèmes, ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ». Cette première décision a donné la voie à de nombreuses autres décisions similaires. Cependant, elles n’ont pas toutes opté pour la même argumentation, certaines invoquant l’inconventionnalité de l’article (c’est-à-dire qu’il soit contraire à une convention internationale) (A) et d’autres la contournant tout simplement (B).
 

  1. L’invocation de l’inconventionnalité du barème Macron

Ainsi, certains Conseil de prud’hommes ont écarté le barème en donnant raison à l’argumentation des avocats travaillistes qui soulevaient l’inconventionnalité de cet au l’article 24 de la Charte sociale européenne et à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui ordonnent « le versement d’une indemnisation adéquate » du licenciement injustifié. Ce fut le cas dans le jugement du Conseil de prud’hommes d’Angoulême en date du 9 juillet 2020.
 

  1. La nécessité d’une réparation adéquate voire intégrale du préjudice subi
     

D’autres juridictions n’ont pas souhaité trancher sur la question de l’inconventionnalité et ont contourné le barème des indemnités en invoquant la nécessité d’une réparation adéquate. De cette manière, le Conseil de prud’hommes de Grenoble a estimé dans son jugement en date du 25 mars 2021 qu’en l’espèce, au regard de l’âge du salarié et de la difficulté qui en résulte de retrouver un emploi dans un marché de niche et du caractère abusif du licenciement, l’application du barème porterait une atteinte disproportionnée aux droits de Monsieur, et a décidé d’y déroger, « pour réparer de manière juste et adéquate le préjudice subi tant d’un point de vue financier et moral ».  Les juges prud’homaux ont alors fait droit à la demande du justiciable percevoir des dommages-intérêts de 115 000€ nets ce qui correspond à 28 mois de salaire, contre les 19 849,38€ à 72 781, 06€ bruts si le barème en vigueur avait été appliqué. La Cour d’appel de Bourges est allée encore plus loin en demandant la réparation intégrale du préjudice d’un salarié de 59 ans ayant 5 ans d’ancienneté et dont la recherche d’emploi en raison de la tension sur le marché du travail était particulièrement difficile. La Cour a estimé dans cette affaire que l’application en l’article L.1235-3 du Code du travail portait « une atteinte disproportionnée aux droits du salarié ».  Les juges lui ont accordé 7 mois de salaires. C’est bien de réparer intégralement le préjudice subi par le salarié dont il s’agit et non pas seulement de prendre uniquement en compte un seul paramètre pour estimer le préjudice subi par les salariés.
 

III – Quel est l’état d’avancement du débat juridique au niveau français et européen ?


La France n’est pas le seul pays à avoir instauré des barèmes pour les indemnités en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement injustifié puisque des barèmes similaires ont été censurés en Europe (A), tandis que le débat national subsiste (B).
 

  1. Un barème similaire censuré en Europe

L’Italie a pris une mesure similaire instaurant un barème similaire au barème français et a été censuré par la Cour constitutionnelle italienne en vertu de l’article 24 de la Charte sociale européenne. De même, une même loi finlandaise a été déclarée contraire à la Charte en estimant que « l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis ». Une décision similaire est attendue par le même Comité Européen des droits sociaux, organe en charge de l’interprétation de la Charte sociale européenne, pour la France à l’issue de la réclamation de la CGT-FO du 22 mars 2018 n° 160-2018, qui a été déclarée recevable.
 

  1. La continuité du débat juridique français

Le débat juridique concernant l’inconventionnalité de l’article L.1235-3 du Code du travail subsiste. En effet, malgré les décisions de plusieurs Conseils de prud’hommes d’écarter cet article en raison de son inconventionnalité, tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation. La Haute juridiction réunie en assemblée plénière a confirmé dans ses avis rendus le 17 juillet 2019 (n° 15 012 et n° 15 013) que l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT était bien directement invocable dans les litiges entre particuliers devant les juridictions françaises, mais que tel n’était pas le cas pour l’article 24 de la Charte sociale européenne. Ce dernier avis a eu bien de quoi surprendre les avocats travaillistes et les juges prud’homaux puisque le Conseil d’Etat avait formellement estimé que les actes n’ayant pas pour objet de régir exclusivement lest relations entre Etats pouvaient bien directement être invoqués devant le Conseil de prud’hommes.

Heureusement, les avis de la Cour de cassation ne lient aucune juridiction, et les juges prud’homaux peuvent continuer à écarter le barème des indemnités. Désormais, il faut attendre que la Cour de cassation se prononce sur la conventionnalité des indemnités prud’hommales et le cas échéant, celui de la Cour européenne des droits de l’Homme. Si la France est condamnée pour non-respect des conventions internationales, encore faut-il que la France applique effectivement la décision de la Cour européenne. Autrement, les juridictions de premières et secondes instances pourront continuer à lutter contre le barème en appliquant une indemnité juste et adéquate.
 
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