« Bore-out » : quand l’ennui professionnel influe sur l’état de santé du salarié

« Bore-out » : quand l’ennui professionnel influe sur l’état de santé du salarié
Selon une étude QAPA, en 2021, 71% des Français s’ennuient au travail. Ce phénomène d’ennui au travail a par ailleurs été accentué avec le télétravail, qui a été la norme au cours de la crise sanitaire liée à la Covid-19. En effet, 73% des Français concernés par le télétravail déclarent s’ennuyer dans de telles conditions. Cet ennui peut engendrer ce que l’on appelle le syndrome d’épuisement professionnel par lennui, aussi appelé bore-out.
 
Si le terme fait penser au burn-out, c’est principalement parce qu’il s’agit également d’un anglicisme au concept bien particulier. Moins connue que le burn-out, le « bore-out » peut également avoir des conséquences néfastes sur la santé des salariés qui en font les frais. Maître Zenou avocat en droit du salarié vous propose de faire un point sur cette notion.
 
Il convient de s’intéresser à la définition et l’identification du bore-out (I), aux premières démarches à effectuer lorsque ce phénomène survient (II) et enfin aux moyens d’action du salarié qui en est victime (III).
 

I) Qu’est-ce que le bore-out ?

 
Si le burn-out, qui se définit comme étant une surcharge de travail engendrant stress, fatigue et détresse, est depuis longtemps reconnu comme étant une forme de harcèlement moral, son antonyme, le bore-out a fait une apparition plus récente dans la jurisprudence. Le bore-out est défini comme étant une pathologie, d’origine professionnelle, qui est due à un ennui profond, un désintérêt et une démotivation au travail. S’ensuit alors une forme de tristesse intense et d’anxiété qui peut entraîner dans son sillage l’apparition d’une dépression.
 
Du bore-out comme du burn-out résulte un épuisement professionnel qui peut avoir des conséquences graves sur la santé du salarié, et mérite une attention toute particulière avant que l’état de santé du salarié victime n’en soit irrémédiablement affecté.
 
Plusieurs situations peuvent se trouver à l’origine du bore-out :
 
  • Labsence ou le manque de travail.
  • Des tâches de travail ennuyeuses et répétitives.
  • Une surqualification ou sous-utilisation.
 
C’est l’idée d’un salarié qui dispose de compétences supérieures aux tâches qu’il est amené à accomplir. De cette manière, il effectue ses tâches avec une trop grande aise qui vient par la suite générer un ennui professionnel.
 
  • Labsence de perspectives professionnelles.
  • Le manque de reconnaissance au travail.
 
Ce phénomène peut émerger ainsi au fur et à mesure de la relation de travail. Il peut débuter par un retrait de responsabilités, une absence de communication, et s’intensifier par la suite. Un salarié « mis au placard », c’est-à-dire, mis à l’écart et délaissé tant professionnellement et humainement est ainsi nettement susceptible de développer, cet épuisement professionnel lié au « bore-out ».  Ce phénomène peut toucher tout type de salarié, mais l’on remarque un nombre plus important de victimes chez les salariés dont le licenciement est impossible ou est trop onéreux.
 
Exemple : le salarié protégé dont l’autorisation de licenciement administrative n’aura pas été obtenue.
 
En réaction au fait de ne pas avoir pu se séparer du salarié, l’employeur va ainsi petit à petit chercher à enlever des tâches au salarié, installer en lui un sentiment d’inutilité pour qu’il choisisse de partir de lui-même, c’est-à-dire poser sa démission.
 

II) Comment réagir en situation de bore-out ?

 
Si vous constatez un ennui dans votre activité, la première chose à faire est de ne pas chercher à sur-analyser la situation. Cet ennui est peut-être passager et directement lié aux périodes d’activité de votre entreprise. Si cet ennui s’installe et commence à avoir un effet sur votre état psychologique, il convient alors d’engager un dialogue avec votre supérieur et vos collègues afin de recueillir un avis pertinent sur la situation.
 
Votre supérieur n’est peut-être pas au fait de votre ressenti, et pourra ainsi remédier au problème en vous confiant des dossiers plus stimulants, ou en revalorisant vos responsabilités de manière générale. C’est peut-être également l’occasion pour vous de faire un point sur votre carrière professionnelle et réfléchir ainsi à vos perspectives d’emploi.
 
Toutefois, le bore-out peut, lorsqu’il est pérenne, entrainer une détresse psychologique dont les effets ne doivent pas être minimisés. Ainsi, il peut être utile de faire part de votre état à votre médecin traitant afin de recueillir son avis sur la question et un arrêt de travail si votre état de santé le justifie. Par la suite, une visite chez la médecine du travail peut permettre à votre employeur de se rendre compte de la situation et obtenir de lui des mesures concrètes afin d’y remédier.
 
Important : Il ne faut pas hésiter à se rapprocher et informer les institutions représentatives du personnel ainsi que l’inspection du travail de la situation, dans laquelle vous vous trouvez. La CSSCT, lorsqu’il y en a une pourra ainsi étudier votre situation et alerter l’employeur de votre état de santé.
 

III) Quel recours pour le salarié victime d’un bore-out ?

 
  • Le bore-out peut être une forme de harcèlement moral et ouvre ainsi droit à des dommages-intérêts
 
En effet, une affaire relativement médiatisée dans laquelle le bore-out avait été mentionné démontre que le bore-out, ou plus largement l’ennui professionnel peut constituer une forme de harcèlement moral en fonction des circonstances de cet ennui.
 
La Cour d’appel de Paris avait en effet pu reconnaitre que l’isolement d’un salarié, sa mise au placard, l’affectation à des taches peu valorisantes et l’ennui et surtout l’état dépressif qui en était résulté caractérisait un harcèlement moral (CA Paris, 2 juin 2020, n° 18-05.421). En se plaçant sur le terrain du harcèlement moral, le salarié avait ainsi pu bénéficier du partage de la charge de la preuve prévu en matière de harcèlement moral.
 
C’est-à-dire que le salarié doit apporter des éléments de fait laissant supposer de l’existence d’un harcèlement moral tandis que l’auteur de ce harcèlement (le plus souvent, l’employeur) devra lui prouver que les agissements en question ne sont pas constitutifs du harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
 
Rappel : Le harcèlement moral peut également donner lieu à des poursuites devant une juridiction pénale. N’hésitez pas à recueillir les conseils d’un avocat afin de connaitre vos moyens d’actions en la matière.
 
La Cour de cassation avait déjà pu considérer que le fait de confier au salarié des tâches qui n’entrent pas dans ses missions, sont inadaptées à ses compétences, sont dévalorisantes, voire humiliantes, constituait une forme de harcèlement moral (Cass. Soc, 14 sept. 2016, n° 14-15.333). La seule nouveauté dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris résidait ainsi dans la référence à l’ennui et à la situation de bore-out. En tant que forme de harcèlement moral, le bore-out pourra ainsi permettre à celui qui s’en prévaut de demander l’octroi de dommages et intérêts pour le dommage qui en est résulté.
 
  • Le bore-out est susceptible de constituer un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur
 
Le bore-out étant une souffrance du salarié provoqué par un manque ou une absence de travail, l’épuisement psychologique et physique du salarié qui en résulte constitue une atteinte à la santé et à la sécurité du salarié. L’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (L’article L. 4121-2 du Code du travail), notamment à l’égard des risques psycho-sociaux.
 
Intéressant : Certaines conventions collectives mentionnent le bore-out comme risque-psychosocial telle que la Convention collective du personnel des huissiers de justice.  
 
Ce syndrome fait l’objet d’une prise de conscience collective susceptible de s’accentuer, avec les effets que la crise sanitaire va engendrer sur la santé de nombreux salariés qui constatent un sentiment d’ennui profond dans l’exercice de leurs fonctions. Si cette obligation n’est pas respectée, même en l’absence de harcèlement moral, l’employeur peut être condamné à verser au salarié des dommages et intérêts visant à réparer le préjudice du salarié victime de bore-out.
 
Cela étant, il est nécessaire que le bore-out soit circonstancié par des éléments probants et qu’il en soit résulté une dégradation particulière de l’état de santé du salarié qui s’en prévaut. Il ne suffit pas d’alléguer d’un ennui profond au travail, mais de démontrer l’influence de cette situation sur l’état de santé du salarié.
 
  • Le bore-out reconnu comme maladie professionnelle ?
 
Parallèlement, le salarié pourra essayer de faire reconnaître le bore-out comme maladie professionnelle. Il convient de préciser que le bore-out n’est pas désigné au sein des tableaux de maladies professionnelles. Celui-ci pouvant résulter en un état anxieux sévère ou encore une dépression, il y a lieu de penser qu’il est susceptible de faire l’objet d’une reconnaissance en maladie professionnelle.
 
La procédure de reconnaissance des maladies hors tableau va alors s’appliquer s’agissant du bore-out, laquelle suppose :
 
  • Qu’il soit démontré que l’affection ait été essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime (Code de la sécurité sociale, art. L.461-1, al. 6) ;
 
  • La saisine pour avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui peut faire appel à l'avis d'un médecin spécialiste ou compétent en psychiatrie, sil lestime nécessaire à l'instruction du dossier.
 
La reconnaissance du bore-out en maladie professionnelle vous permettra de bénéficier d’une meilleure prise en charge de vos frais de santé : prise en charge à hauteur de 100% des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, ainsi que tous les autres frais nécessités par l’accident (appareillage…) et le traitement (frais de transports occasionnés par le traitement ou la rééducation…).
 
Cette démonstration n’est pas aisée et mérite ainsi l’assistance d’un avocat en défense du salarié, pour vérifier si votre situation justifie en effet la reconnaissance du bore-out en maladie professionnelle. A noter que ce sera sans doute l’état anxieux ou dépression qui sera reconnu comme maladie professionnelle et pas le bore-out en tant que tel.
 
Le bore-out est donc un phénomène émergeant qui est susceptible d’avoir de nombreuses conséquences sur l’état de santé du salarié. Le résumer à un simple ennui serait réducteur étant donné, qu’il s’agit d’un état caractérisé par un ennui professionnel profond. En fonction de son influence sur la santé du salarié, ce syndrome mérite donc d’être signalé, afin que le salarié en soit préservé et soit indemnisé pour les souffrances causées.
 
Vous êtes victime de bore-out et vous souhaitez agir contre votre employeur ? Me ZENOU, avocat en droit social à Paris 20ème met son expertise au service de vos intérêts. Vous souhaitez que le bore-out dont vous êtes victime soit reconnu comme maladie professionnelle ? Le Cabinet ZENOU, compétent en avocat droit du travail à Paris 20ème vous accompagne tout au long de la procédure.

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